Pour débuter ce modeste article, je vais commencer par citer Lou Ford, rédacteur d’un test de Sorcery + en 1989 dans le n°4 de la revue Run’Star « Demander à un vieux routard du CPC s’il se souvient de Sorcery et vous voilà parti pour des heures d’éloges et de souvenirs émus. Sorcery a quatre ans et pourtant il n’a pas pris une ride… »
Nous sommes en 2020, et Sorcery + que j’ai eu en disquette dort dans une vieille boîte à chaussures, entre celle d’un génialissime Bomb Jack et celle d’un rutilant 3D Fight. Hélas, impossible d’y re-jouer dans les conditions d’antan, mon CPC 6128+ est mort et enterré depuis la fin des années 90. La seule manière pour moi d’y goûter à nouveau est d’utiliser un émulateur. Parbleu, quel sacrilège ! Oui, ce n’est pas pareil, ou presque. Et puis j’ai glissé, jusqu’à oublier que j’étais sur mon pc portable. Bien entendu, il faut retrouver les bases, les touches du clavier et comment lancer le jeu.
Ready ? me demande l’écran bleu (comme la mer d’Iroise) de ce qui fut mon ordi préféré. Allez, c’est parti, je tape les 3 lettres « CAT » pour lire la disquette et repérer le nom du fichier du jeu. En général, taper run »disc suffisait à l’époque mais des fois, non. Pour la disquette émulée de Sorcery+, il suffit de taper run »sorcey+. Cool, ça se lance !
La musique d’intro de l’Apprenti Sorcier de Dukas, en mode 8-bit, percute mes oreilles et réveille tous les souvenirs. Je n’ai pas de joystick, il va falloir configurer les touches et jouer avec une manette X-box 360 ! Le vertige, le tourbillon, des temps plus ou moins anciens, tels de grands monolithes noirs flottant dans un espace indéfini, se percutent jusqu’à fusionner.
Le jeu n’a pas pris une ride (pour répondre à Lou Ford), ou si il a des rides, de bien belles rides avec ce petit sourire apaisé, un brin malicieux, des personnes âgées, des marqueurs de son temps : une poignée de couleurs (au nombre de 16, particulièrement bien choisies), du pixel art (trop mignon avec une animation fluide et géniale) sur ce fond noir d’antan (pour faire travailler au mieux notre imagination). On est en plein « retour vers le futur », un 1985 où tout est encore possible dans le jeu vidéo : la NES vient de débarquer au Japon et l’Amstrad CPC est encore une machine pleine d’avenir.
« You are near the Village » me dit le jeu, alors qu’un fantôme attaque le petit sorcier que j’incarne. Mon pourcentage de vie baisse à vue d’œil. Je m’échappe dans les airs. Petit son trop trognon d’une vieille porte en bois qui s’ouvre et se referme, et me voilà dans un autre endroit où trône au beau milieu un chaudron qui « bubulle ». J’y go. Ma vie redescend de plus belle, à vitesse grand v, flirtant avec le 0. Je reprends mes esprits et mes marques, certains chaudrons redonnent de la vie et d’autres non. Bien au contraire, ces derniers vous aspirent le peu d’énergie vitale qu’il vous reste.
Les tableaux sont jonchés d’objets. Les épées tuent certains monstres (une tête de cochon, au hasard ?) mais pas tous. Heureusement, d’autres armes fonctionnent sur les plus récalcitrants. Sinon, on a des sortes de smart bombes, si bien entendu on les trouve, des sacs de poudre ou l’étoile qui permettent de tirer dans plusieurs directions pour nettoyer l’écran. Ce qui soulage grandement car les ennemis sont du genre collants et nous bouffent toute notre énergie sans nous laisser un seul répit.
Pour l’histoire, huit de nos camarades sorciers sont retenus prisonniers par le terrible Nécromancier. Pour ne pas nous aider, ils sont dispersés aux quatre coins d’un Royaume hostile sous la forme d’un labyrinthe bourré de portes, de monstres et de pièges. Notre petit sorcier lévite dans les airs et ce bougre ne sait pas faire du surplace, il retombe dès qu’on ne touche pas aux directions. On devra donc trouver un semblant de logique à ce labyrinthe et trouver les bons objets, tels des clés, pour libérer, un à un, nos amis. Problème, nous ne pouvons porter qu’un item à la fois. Il faudra donc les choisir judicieusement, au fur et à mesure. Comme, le temps joue contre nous, à l’image de ce grimoire qui s’effrite au fil des minutes, il est idéal de rationaliser chacun de nos déplacements. Je prend donc un crayon et du papier. Un peu d’organisation, que diable !
Quel objet libère quel sorcier. A quel endroit ? Dans le château, dans les cieux ? Je dessine le labyrinthe. Mince, il faut passer cette rivière mortelle ! L’eau est la menace la plus effrayante dans Sorcery car la mort par noyade, c’est du one shot assuré et un Game Over nous obligeant à tout reprendre depuis le début !
Après un peu plus de 10h de jeu, jouant avec mes souvenirs et de nombreux essais/erreurs (les départs à différents endroits de la carte ne facilitent pas notre aventure, on peut se perdre au début), mes huit camarades sont tous juchés fièrement sur leurs piliers dans la salle des Grands Sorciers. C’est une libération et une très grande joie ! Le Nécromancier n’a qu’à bien se tenir… Mais est-ce la fin du jeu ? Et bien non, dans Sorcery +, c’est juste la fin du premier chapitre.
Le « + » signifie qu’il y a un deuxième chapitre, un add-on au jeu original qui nous permet d’en finir une fois pour toute avec le vilain de l’histoire, dans un monde médiéval fantastique bien plus sombre. Une nouvelle aventure, de nouveaux objectifs mais le temps désormais me manque terriblement, le grimoire n’est quasiment que poussière. C’est finalement le Game Over. In fine, je me rends compte que Sorcery + a une durée de vie énorme !
L’adulte, plein de certitudes, a été vaincu par un jeu de son enfance. A ma grande honte, je n’ai pas eu le courage, depuis, de tout reprendre. Et pourtant, je suis reconnaissant à Sorcery + de m’avoir à nouveau passionné, je suis impressionné par l’amusement qu’il procure et puis tout de même, libérer tous nos amis reste un petit exploit en soi.
Edité par Virgin Games et programmé par le Gang Of Five, Sorcery est une œuvre à l’origine initiée par Martin Wheeler, seulement 14 ans à l’époque de la conception. Ce qui paraît incroyable surtout à la vue de la qualité du soft, c’était pourtant le lot de quelques pepites informatiques (comme Peur sur Amityville sur ce même CPC, co-réalisé par un jeune français de 15 ans). C’était une époque qui permettait encore à de petits génies de la programmation de s’exprimer.
Sorcery + est un jeu d’action et d’exploration mignon tout plein (encore aujourd’hui), exigeant et gratifiant. Stimulant même ! Pour un jeu de 1985, la réalisation ne souffre d’aucun défaut, absolument aucun et pour ça, son challenge et son intelligence, Sorcery + est pour ma part le joyau de l’Amstrad CPC.
Je ne me suis jamais essayé aux autres versions du jeu, paru sur d’autres ordis de l’époque, mais quand j’ai vu l’écran de présentation, très beau, de la version Amiga, j’ai décidé de mettre cette image là, en avant. Notez que les images présentes pour illustrer mon article sont un mélange de Sorcery + et du tout premier Sorcery (les emplacements des Sorciers diffèrent et le temps y défilent plus vite aussi, puisque libérer tous les sorciers signe la fin du jeu original)… Oui, je triche un peu. Ou disons… C ‘est de la magie. De la sorcellerie !