Marianne est une médium à l’enfance peu enviable, puisqu’elle fut baladée de famille d’accueil en famille d’accueil durant un temps, avant d’être confiée à l’homme qu’elle doit aujourd’hui enterrer : Jack. Le défunt tenait un funérarium et il vivait avec Marianne, au premier étage, juste au-dessus de l’établissement. Habitué à côtoyer les morts, les pouvoirs particuliers de la jeune fille ne l’effrayaient pas. Ainsi l’enfant put grandir plus ou moins normalement jusqu’au jour où tout bascule, le jour où commence le jeu.
Un jeu aux multiples visages
Avec The Medium, le studio Bloober team nous plonge dans une Pologne post soviétique à une période où Bill Clinton est encore président des USA. Nous sommes à la fin des années 90, les vestiges de l’époque Soviétique sont encore fort présents et l’ambiance visuelle du jeu repose en partie là-dessus. Une fois l’introduction passée, suite à un coup de téléphone étrange et inexplicable, Marianne traverse la forêt de Niwa pour finalement se retrouver dans une pension de vacance construite par le Parti socialiste à destination du peuple. De là va se bâtir un scénario sur l’identité de la jeune femme et sur ce lieu mystérieux.
The Médium est un pot pourri de pas mal des concepts liés au paranormal. À commencer par la médiumnité, don permettant à certaines personnes de voir et de communiquer avec les morts, d’une ou plusieurs façons différentes. Le jeu dissémine tout au long de son aventure, de multiples phénomènes paranormaux tels que : la trans-communication instrumentale (entendre les morts via un poste de radio), la perception auditive à travers des objets chargés de souvenirs et bien sur, la double vue. Cette double vue, au cœur du gameplay, amène le joueur à voir ce que Marianne perçoit sur un second plan de conscience. S’installe alors tout un jeu de va-et-vient, amené par un écran splitté entre le monde matériel et le monde des défunts. Le joueur devra alors interagir dans l’un et dans l’autre des mondes pour avancer dans l’histoire et débloquer les multiples énigmes du jeu.

Le principe du split-screen, le gros atout du jeu
De l’autre côté du miroir
Ces choses et ces capacités sont présentées comme acquises et normales durant l’aventure. Ces phénomènes, tirés d’expériences surnaturelles ayant été pratiqué un peu partout dans le monde, sont déballés au joueur avec peu d’explications. Quelques éclaircissements sur le statut de médium, ainsi que sur les pratiques ritualistes auraient été les bienvenus pour une meilleure compréhension de l’ensemble, surtout de la fin. Par exemple, le sel capable de repousser les démons, la fonction du miroir dans la mise en abyme de la psyché d’un être vivant, le principe et les règles de goétie dans un pacte avec un esprit infernal, la symbolique du papillon qu’on retrouve dans l’affaire du Mothman de Point Pleasant, et surtout dans les représentations médiévalescomme celle du Jugement Dernier du peintre de style Flamand Memling… Bref, tout cela peut paraître confus à celui qui n’est pas familier à ce genre d’univers et de pratiques, mais apparaître comme un gros plus une fois qu’on en perçoit les codes. Codes et thématiques restant dans l’ensemble, assez marginales dans nos sociétés actuelles. À noter cependant, que c’est quelque chose vraiment original et d’inattendu, que de voir de tels sujets évoqués de la sorte dans un jeu vidéo.

Plutôt que de vous dévoiler la créature incarnée par Troy Baker, voici l’une des probables inspirations venant d’une peinture de Memling ayant amené à son design
Un jeu aux inspirations nombreuses
Le jeu est construit sur le modèle des survival-horror époque Ps2 Gamecube. Point de camera contrôlable en full 3D, mais de multiples environnements à caméra fixe à la manière d’un Résident Evil Zero, dans lesquels on se déplace. Ceci fait la part belle à de nombreux choix de plans, tous bien léchés et dont on perçoit un amour du travail bien fait, ainsi que l’envie de créer et de travailler les ambiances. Et c’est chose faite, puis qu’entre ses passages très Silent hill, avec des tons verts gris, et ses moments allant puiser directement dans l’univers du peintre surréaliste Zdzisław Beksiński, The Medium, nous transporte par sa démarche et ses inspirations, et parvient à le faire sans un budget de jeu AAA. On notera aussi la courtoisie de citer le peintre comme influence majeure au générique de fin. Malgré des fulgurances dans la seconde partie du jeu, il est cependant dommage de ne pas retrouver pas toute la verticalité et le gigantisme si présent dans le travail du peintre polonais, dont les thématiques principales sont la mort et le passage entre les univers, sujets au centre de The Medium. Mais qui sait, peut-être dans un second opus !
Sur PC, le jeu est assez gourmand sans être une prouesse technique, et la principale raison, est qu’il demande parfois de faire tourner 2 scènes simultanément, ce qui forcement, amène votre machine à calculer deux fois plus de chose.

Marianne voit dans le monde des morts
Forces et faiblesses
Avant tout narratif, le jeu est très dirigiste et se présente autant comme une expérience interactive que comme un survival-horror classique, du type Resident Evil. Marianne n’a aucune arme et se contente de se protéger grâce à ses pouvoirs ou de fuir au besoin. Les seuls moments de danger se présentent sous la forme d’un Nemesis invincible auquel il faut échapper. Ce personnage campé par Troy Baker est assez dérangeant et la manière dont il est présent dans l’histoire, démontre clairement l’influence de Death Stranding sur la Bloober Team. Par ailleurs certains passages le concernant sont un peu pénibles à jouer. La raison principale, c’est que le gameplay est plutôt lourd en matière de déplacement, les animations de course sont rigides, notre héroïne marche une bonne partie de l’aventure, sans qu’on puisse la faire courir, et quand c’est le cas, on ne peut pas dire qu’elle soit de toute façon très pressée. Peu d’informations nous sont données lors de ces phases d’« infiltration », où la moindre faute amène au Game over. Se terminant au forcing après quelques tentatives, elles sont les seuls moments de tension, plus par leur maladresse de game-design que part une réelle menace illustré par un gameplay efficace.
Pour le reste, le jeu nous met face à des énigmes plus ou moins inspirées. Il n’est pas rare de devoir chercher un objet pour débloquer un mécanisme et de constater que le dit objet est à côté de nous. Cependant the Médium apporte aussi pas mal d’idées intelligentes basées sur les capacités de Marianne évoquées plus haut. Ces nombreux moments, jouant sur les décors, les objets et le passage entre les mondes faisant avancer l’histoire, sont de très bons points de la partie jouable. Ainsi The Medium se laisse jouer avec un certain plaisir, malgré le peu de challenge et quelques passages pénibles ou convenus, d’autant que le scénario gagne en profondeur au fil de l’aventure et nous amène vers une fin marquante et des révélations imbriquant traumatisme d’une Pologne d’après-guerre et malédiction familiale.

La direction artistique est solide, comme en témoigne ce décor en jeu ci-dessus et ce concept-art ci-dessous
Akira Yamaoka
Pour les anciens, la particularité de The Medium, c’est aussi le retour de Akira Yamaoka en tant que compositeur. Accompagné de Arkadiusz Reikowski, le père de Silent Hill signe une partition soignée entre passages délicats et moments anxiogènes et stridents. Et même si on ne retrouve pas forcément son style Silent Hill, son travail est élégant et la bande-son se mêle parfaitement bien à un sound-design travaillé où les infra basses ont le beau rôle aux moments opportuns.