Le Coup du Spectacle : Streets of Rage 3
Être numéro 3 est un rôle ingrat. Et pas uniquement lorsqu’on se nomme Streets of Rage ou Bare Knuckle pour la version issue du Soleil Levant (ce détail a son importance !). C’est aussi, très souvent, l’épisode qui clôt la trilogie avec la lourde tâche d’émettre la touche finale tout en alliant surprise et cohérence. Le benjamin dont on attend énormément tout en redoutant son insouciance et sa capacité de surprendre. Dans n’importe quel sens.
Le spectre de l’œuvre de trop, la moins douée, la plus suicidaire. Et combien de conclusions furent qualifiées de moins bonnes voire mineures ? Certes, bon nombre de sagas n’étaient pas destinées à produire un 4ème opus. Fourberie du temps, ce dernier intervient des années plus tard, ravivant le souvenir du fruit d’une autre époque avec ce risque non mesuré de décevoir à vie.
C’est en ce sens qu’il est assez rare de ressentir de la neutralité pour celui qui est sur la dernière marche du podium. Bon sang, que cela est variable ! Entre les médiocres (Mad Max Beyond Thunderdome), ceux en manque d’inspiration (Retour vers le futur Part. III), les décevants (Le Parrain 3) ou les gigantesques (The Lord of the Rings : The Return of the King), l’esthète trouvera la diversité du jugement.
Vous l’aurez compris : pas forcément pour le meilleur tellement le mioche veut se différencier de ses aînés. Jusqu’à en altérer parfois l’identité tant la peur de la redite se fait sentir. Au point d’empêcher d’être une pierre angulaire ? Non pas exactement.
Et c’est notre analyse du jour qui ne saurait nous faire mentir : Streets of Rage 3 est un cas d’école que nous ne pouvons renier. Une nouvelle fois : tout pour le Beat, rien pour le reste. Entre métal hurlant, boîte à baffes et incompréhension, aventurons-nous vers un jeu ô combien décrié. Retour en 1994 les amis.
Ça se passe sur MEGA-Force !

Un début à la fois nerveux et punchy. Pour le meilleur ?
Blaze de rythme ?
A moins de se montrer totalement imperméable au genre que représente le Beat’em Up, il est impossible d’ignorer l’existence de la série. Surtout lorsque les orfèvres de Dotemu, Guard Crush et Lizardcube ont ressuscité une figure que nous n’attendions plus. Des mains dans le cambouis, du respect via des easter-eggs en pagaille et une énorme influence… de Streets of Rage 2 ! Pour le résultat que nous connaissons, à savoir un délice pour tous les sens requis.
Mais avant cela, point de projet de suite pour nos amis à la main lourde. Fort d’un premier épisode extraordinaire, la formule fut sublimée avec sa suite. SEGA tient donc la dragée haute à la concurrence en multipliant les trouvailles. Une amélioration sur quasiment tous les domaines pour une folie issue du travail de la Team Shinobi, décidément aussi bien installée qu’inspirée lors de ce début des années 90, comme elle le fut lors de la décennie précédente.
De quoi susciter enthousiasme et excitation pour le dernier round afin de laisser une empreinte indélébile sur nos MegaDrive chéries, toujours promptes à nous bercer d’émerveillements qui se transformeront en souvenirs choyés. Fichtre, nous avons pris un sacré coup (aha) de vieux !
Les ingrédients sont réunis, en dépit d’un casting changeant où Adam nous manque à chaque fois à cause d’une pirouette scénaristique un peu fade, car les bases sont solides. Force est de reconnaître que tout ne fut pas parfait lors des 2 premières itérations ; néanmoins, le plaisir était aussi intense que la technique fluide et ce malgré quelques largesses que les créateurs avaient laissé en cours de route.
Et pourtant, la voie tracée fantasmée était bien plus tortueuse…

Adam : toujours présent dans le scénario mais cruellement absent du casting jouable…
Axel et son orchestre (d’accord, c’est facile)
Lorsque nos petits doigts ont découvert Streets of Rage 3 la première fois, en version PAL, notre curiosité initiale s’est sauvée au profit d’un ébahissement profond. Mince ! Atsushi Seimiya, déjà impliqué sur des projets comme The Revenge of Shinobi ou sur la version MD de Strider, se serait-il trompé ? Qu’est-ce donc que ce mic-mac ? Il est où le plaisir là ? Pourquoi prenons-nous autant de trempes avec mon ami(e) ?
La raison est toute trouvée : quand une conversion devient aigre, elle se transforme en bouillie indigeste qui laisse ce goût amer nous faisant regretter les plats d’antan. C’est en cela que la vérité éclatera au grand jour (oui on s’enflamme) : Streets of Rage 3, la version de l’Occident, n’est pas Bare Knuckle 3, le jeu d’origine né au Japon. Des choix incompréhensibles, voire lamentables. Cela ne masquera pas les nombreux défauts de BK3 mais comment pardonner une amplification de ceux-ci et une aggravation de leur quantité ?
Rien ne pourra nous faire changer d’opinion sur ce point ! SoR3 est tout simplement le “portage” de la honte, celui qui ne s’assume pas en dénaturant le matériau de base. L’os dans le steak qui vous gâche le repas en famille du dimanche midi. Des fautes, des erreurs et des personnes qui prennent des décisions arbitraires en considérant le gamer comme un simple appât qu’il faudrait protéger d’un certain mal.
Certaines choses s’expliquent, d’autres non. Désormais, le temps a parfaitement accompli son office et il est possible d’avoir accès aux 2 softs à travers la Sega Megadrive Classics, disponible sur PS4, Xbox One, Nintendo Switch et PC pour les moins fortunés.
Un choix intéressant ne serait-ce que par valeur comparative.

Les retouches de Sor3 sont sans appel : du mauvais goût à l’état pur.
Zan et marre !
Autant nous pouvons comprendre certaines modifications, autant les coupes et autres maladresses ne passent pas lorsque nous évoquons Streets of Rage 3.
Si nous reconnaissons aisément que dans BK3 , le semi-boss Ash est une calamité dans sa représentation, pourquoi le censurer durement et simplement dans SoR3 ? Bien sûr, ce n’est pas le personnage le plus inspiré de la série. Un cliché de l’homme homosexuel, à l’instar de Glen Hughes du groupe Village People. Certes, ce n’est pas forcément exaltant.
En outre, il convient de se poser les bonnes questions : les autres protagonistes ne sont-ils pas également des poncifs du genre ? Il est évident que cela est le cas et avant d’évoquer une quelconque malveillance, comment ne pas fondre devant ce procès si rapide et idiot à la fois ?
Car Ash est tout simplement absent de SoR3. Rien, aucune évocation, jusqu’à employer Shiva en pompier de service pour ramener les mobs à la baston (ceux qui ont fait le premier niveau comprendront…). Bref, ce qui dérange est cette faculté d’un organisme de décider ce qui est bon pour nous ou non. Un procédé odieux à notre sens qui considère le joueur comme le laquais de la culture, dévoué de discernement.
Or, n’est-ce pas le propre du Beat’em Up d’agir comme une catharsis ? Si nous cognons sec à travers le pixel, devenons-nous des affreux jojos empreints à se frotter aux loubards ? En somme, rien n’est plus surprenant que de voir que SoR3 découpe BK3 de façon arbitraire…
Quand bien même ce serait la seule taillade !

Ash : le semi-boss que vous ne verrez tout simplement pas dans Streets of Rage 3 !
Sammy rite
Ne ménageons pas nos efforts pour vous alerter : Streets of Rage 3 n’est même pas un prototype de Bare Knuckle 3. C’est un ersatz gangrené qui se soigne par l’amputation. L’histoire ? Balayée. Alors bien sûr, ce n’est pas un élément essentiel du Beat’em Up ! Cependant, briser une mise en abyme laisse pantois. Tout bonnement. La version de l’Occident se paie tout de même le luxe d’exclure des pans entiers du scénario en édulcorant l’introduction.
Ne soyons pas de vilains chafouins : le script de BK3 est une purge. Un méchant, un plan foireux qui consiste à prendre le contrôle en remplaçant des hauts placés par des robots, tout en étendant le règne de la terreur par le biais de petites frappes. Une justification d’une Direction Artistique étrange, à 1000 lieues de l’esprit initié par le long-métrage The Warriors (1979, Walter Hill). Celle-ci troque son esprit de la rue au profit d’un gloubi-boulga imprégné de SF qui ne fait jamais mouche en raison d’une colorimétrie qui s’amourache du flashy, nous rappelant les heures les plus sombres de la NES. Oui, à ce point !
Pourtant, certains ennemis transpirent la classe, notamment ce boss furieusement génial qu’est Yamato, qui accompagnent les têtes déjà bien connues. Mais une nouvelle fois, ce n’est qu’un feu de paille qui masque des skins ratés au fur et à mesure que nous progressons dans le jeu.
Si la volonté de transition se fait sentir, celle-ci est bien trop violente dans l’état d’esprit pour emmener les aficionados dans son carcan. Un loupé magistral qui persiste et signe. Sans jamais faillir, ce qui finalement est à l’honneur des créateurs qui sont allés jusqu’au bout de leur démarche, fut-elle défectueuse.

Un des rares personnages à faire le lien. Jusqu’à en devenir un figure emblématique !
Axel sont jolies (les filles de mon pays !)
Mais alors, que faut-il sauver de ce Streets of Rage 3 ? Absolument rien, sauf si l’on se fie à Bar Knuckle 3. Même les personnages ne se ressemblent pas et une question vous viendra fatalement à l’esprit : mais qu’est-ce qu’ils t’ont fait Axel ? Si le design de son visage est atroce pour les 2 versions, comment ne pas frémir devant son apparence occidentale ? Si BK3 maintient une cohérence relative avec l’opus antérieur, pourquoi l’affubler d’un jaunâtre infâme en guise d’accoutrement pour SoR3 ? Pourquoi ?
Néanmoins, le pire est à venir. Bien décidés à redéfinir les normes, les sauvages en charge de la conversion ont décidé de rhabiller les femmes, nos yeux étant probablement les vecteurs d’une perversion hyperactive. Blaze reste très sexualisée ? Un détail car l’ennemie au fouet doit revêtir un jean pour ne pas choquer nos petites rétines. Ou comment faire perdre le sens d’un personnage !
Comment interpréter cet affront au sens où nous restons sur un support qui limite le réalisme ? A ce propos, SoR3 tout comme BK3 sont parfois franchement indigents, que ce soit pour quelques mobs découpés à la serpe ou des arrière-plans foireux, à des années-lumière de ce que nous offrait la licence. Une tambouille mal écrasée pour un mets de glouton qui ne se soucie pas de l’art culinaire.
Un ramassis trop débridé pour percuter, insuffisant pour trancher dans le vif. Comme si le jeu était réalisé sous une osmose maléfique commune, incapable de rejoindre la route un peu boueuse mais dénuée d’embûches. Rien ne fonctionne réellement et même les petites tapes sur l’épaule du passéiste se transforment en profond soupir, à l’instar d’un Shiva transparent, placé uniquement pour ne pas frustrer le puriste.
Bon sang ! Le NBK est mélancolique en ce jour. Toutefois, difficile de ne pas l’être à la vue d’un prodige qui s’égare…

On se consolera en disant qu’il y a un effort scénaristique…
Adam haut
Comble du comble, même lui se pourfend d’un échec. Oui, celui qui nous a fait rêver et dont le nom trône fièrement aux côtés du titre-phare. Yuzo Koshiro, souverain parmi les rois, nous livre une partition aux antipodes de son brio. Par bonheur, c’est original. En revanche, à notre grand regret, l’OST est parfois inaudible et particulièrement déplaisante.
Aucun moyen de jeter l’opprobre sur le sieur en quête d’innovation mais comment expliquer ce ragoût hideux qui se revendique “expérimental” ? Un point d’orgue perdu entre techno timide et jungle d’épouvante pour un résultat ardu. Une appréciation qui dépend de la tolérance de celui qui écoute, ou plutôt subit, le concert. Aucun thème marquant ne fait office d’étendard, à l’inverse des compositions sublimes de Streets of Rage 1 et 2. Une soupe à la grimace pour les tympans et cela fait mal aux reins de le dire : l’illustre Koshiro s’est fourvoyé, ou tout du moins paumé en route sans être remis en question.
Notre litanie est sévère, nous en convenons. Seulement, nous ne pouvions pas omettre cette déconvenue, fatale pour celui qui espérait tant de choses. Et encore : il y avait un projet ! A la différence d’un sound-design assez fade pour Bare Knuckle 3, catastrophique pour Streets Of Rage 3 ! Non mais comment cela a-t-il pu être validé ? Une question encore sans réponse qui laisse circonspect toute personne qui ose s’approcher du mystère.
“Au moins, le casting est à la hauteur” nous diriez-vous. Si l’on excepte un Zan totalement dans le ton de l’épisode, donc hors-sujet pour l’harmonie, aucun risque ne fut pris. Les traditionnels, les ajouts, tout cela pour un choix correct, d’autant plus qu’il est possible de débloquer des personnages cachés. Et croyez-nous sur parole : même Victy (Roo pour l’Occident) est impressionnant !
Des bonus qui méritent votre attention car tout n’est pas à jeter, loin de là…

On vous laisse deviner quelle est la version occidentale. Cachez ces jambes que nous ne saurions voir !
Si Shiva bien…
Cessons toute entourloupe : si vous jouez à Streets of Rage 3 en mode “normal”, vous allez en baver. Antagonistes plus nombreux et agressifs, barre de vie exacerbée des opposants, défense au rabais… tout est pensé pour écœurer le néophyte ! Des dégâts collatéraux qui feront remarquer à quel point les hitboxes, même pour Bare Knuckle 3, sont foireuses et les perspectives biaisées. Si par malheur vous pensez à jouer en “facile”, SoR3, à l’inverse de BK3, vous rappellera à l’ordre : une fin improvisée au stage 5 et basta !
Élégamment, nous pourrions nous languir de ces conclusions multiples, égéries de la replay-value. Sauf que cela ne fonctionne pas tant SoR3 donne la nausée. Et voilà que nous nous retrouvons à incendier le dernier-né avec bien peu de foi. Ce serait mal nous connaître car nous considérons le jeu dans son emballage initial, Bare Knuckle 3, comme un laboratoire de progression.
Bien plus vif et nerveux que ses grands frères, BK3 se pare de beaux atouts dans son gameplay. Muni de sa roulade et de sa course, il vous donnera une impression de lenteur lorsque vous retournerez vers les projets précédents. Les coups spéciaux sont évolutifs, récompensant le gamer adroit, et la recharge du super-punch est bien mieux amenée que celle de Streets of Rage 2. Plus de perte de vie en cas d’utilisation, sauf si vous en abusez, et un timing de recharge à conquérir.
Il n’y a pas à lambiner ! Les progrès sont réels, la frappe de dos meurtrière, et le retour de l’attaque en coopération nous va à ravir. Chacune des possibilités est exploitée, à l’exception de niveaux tortueux. A l’instar de celui du bulldozer, déjà déplorable en version japonaise. Pourtant, la plupart des affrontements, même s’ils ne réinventent pas la roue, donnent satisfaction malgré des airs de “déjà-vu”, comme la scène des ascenseurs.
Tout aurait dû fonctionner. Ce n’est donc pas le fond qui a rendu l’âme. Juste cet assemblage qui s’est damné pour se démarquer du groupe.
Un vœu aussi pieux que piège.

Une scène mythique maintes fois reprise !
C’est Shiva mine !
Que reste-t-il de cet essai ? Quel est son héritage ? A la fois essentiel et camouflé. Streets of Rage 4, si bon soit-il, intègre quelques évolutions tout en se revendiquant bien plus de la seconde itération. A contrario, The Takeover semble bien plus s’en approcher. Comme quoi derrière une apparence repoussante se cache un trésor dont la richesse est sans égale.
Les possibilités sont énormes et l’utilisation de l’environnement est judicieuse, à l’image de la scène sur les rails dont le remake est opéré sans maquillage par l’excellent Mother Russia Bleeds. Comme quoi l’héritage n’est pas vain et que de grandes idées émanent de ce Sor3/BK3. Peut-être que celles-ci sont mal ajustées ou mal utilisées.
Insuffisamment présentées également car il est possible de traverser l’épopée comme un fantôme en zappant tout le menu. Nous réitérons : il est vraiment difficile de s’impliquer dans Streets of Rage 3 qui pousse à la répétition du même geste pour s’occuper des sacs à PV que constituent les belligérants. Un fait dommageable puisque tant de mouvements furent ajoutés, comme cet armement qui sera bien mieux manié par tel ou tel protagoniste.
Alors que faire pour réhabiliter un épisode aux multiples facettes ? Peu de choses finalement si ce n’est passer au travers des maladresses formelles. Peut-être que cela paraîtra impossible tant le soft est passé aux oubliettes, uniquement reconnu par une valeur marchande élevée. Finalement, cet acte est comme un rendez-vous manqué. Nous l’aurons attendu et il n’est jamais réellement arrivé.
Impossible à oublier mais, tel l’amour déchu, impardonnable.

Comme un dernier regard, vide et froid…
Note de la rédaction :
L’honnêteté est un leitmotiv inamovible de MEGA-Force. Voilà pourquoi nous vous précisons que les captures qui ornent cet article proviennent de la compilation Sega MegaDrive Classics en raison d’une plus grande praticité. Merci de votre compréhension et n’oubliez que si vous lisez nos lignes, vous êtes la Pop Culture.