C’est une victoire de plus qui pèse sur les épaules de Cecil, chevalier noir émérite à la tête des Red Wings, l’escadrille à la solde du roi Baron, qui sous ses ordres, fend le ciel afin d’enchaîner d’interminables conquêtes visant à étancher la soif de pouvoir d’un souverain aujourd’hui méconnaissable. Une victoire de plus, mais une victoire sale, sans gloire, faisant suite au massacre des habitants de Mysidia, et qui insuffle le remords et l’incompréhension au sein d’un équipage qui commence à questionner son capitaine. S’engouffrant dans la salle du trône à peine son armada à quai, Cecil s’entretient avec son roi et ose l’irrévérente question soulevée par ses matelots : Est-ce honorable de mener de telles exactions vis-à-vis des peuples sans défense et pacifiques, dans le seul but de récupérer leurs cristaux, reliques insufflées d’une magie puissante et convoitée ? Sans sommation Cecil est démis de sa fonction de capitaine par ce suzerain qui n’est plus l’ombre de lui-même.

A gauche l’écran titre japonais, à droite l’américain nommé Final Fantasy II pour faire suite à l’unique opus disponible alors outre-Atlantique : Final Fantasy I sur Nes
Tragédie romanesque
Dans les couloirs du palais, Kaïn, son plus fidèle frère d’armes va à la rencontre de notre héros et tente de le raisonner tout en lui réaffirmant son soutient, mais la nuit est agitée et la visite de Rosa, sa belle fiancée au teint pale comme la brume ne parvient à le consoler. Rongé entre la perte de son titre et le sang qu’il a sur les mains, Cecil souffre et se bat contre ses fantômes. Le lendemain il reçoit l’ordre de prendre la route le jour suivant avec Kaïn en direction d’un village du nom de Mist où il va faire une rencontre, en la personne de Rydia, qui va changer sa vie. Rydia est une enfant très spéciale, capable d’invoquer de puissantes créatures nées de l’éther, mais à leur arrivée dans son village, il découvre une fille sous le choc, faisant face à l’horreur découlant d’un acte malheureux dont la responsabilité incombe une fois encore à notre bien sinistre héros.

Les enjeux sont posés par écrit dès le début de l’aventure
Ce sont ces larmes et ce désespoir qui vont mettre notre héros sur la voie de la rédemption et poser tout le corps narratif de Final Fantasy IV. S’ensuit une quête brillante et novatrice pour son temps, puisque nous somme le 19 juillet 1991, sur Super Famicom, et Hironobu Sakaguchi propulse le J-rpg dans l’ère de la narration. Une trame scénaristique digne d’un véritable roman de fantaisie va structurer cette aventure d’une quarantaine d’heures, dans laquelle notre héros va racheter son âme et laisser tomber son masque noir pour entrer dans la lumière, tout en déboutant de l’ombre, un mal gangrenant son royaume et menaçant l’avenir et la stabilité du monde.

Si la mise en scène est limitée par la technique, le rythme et les enchainements de situations restent soutenus et amènent de la tension.
Pilier fondateur du genre et de la franchise, Final Fantasy IV incarne le RPG classique, fondé sur la quête initiatique d’un héros en perpétuel questionnement et devant se surpasser pour surmonter bien des épreuves. Si le casting de ce 4e opus est composé d’archétypes tels que les frères d’armes amenés à s’opposer, l’enfant doté d’un pouvoir qui la dépasse, la figure paternelle prête à mourir pour donner une chance à la génération suivante, ou le parent ayant sombré dans la folie et les tourments, le rythme narratif et la construction du jeu et de son récit le rendent passionnant à suivre et épique, malgré un âge avancé et des limitations techniques de son temps. Chacun des 12 personnages jouables offrent au joueur des moments forts et permettent par leur diversité et leur richesse, de se projeter plus personnellement dans l’un ou plusieurs d’entre eux afin de s’approprier l’histoire.
Final Fantasy IV est l’un des premiers RPG de l’ère 16 bit et cette volonté de conter une véritable tragédie romanesque à travers un jeu vidéo est assez novatrice en 1991. Cette démarche a su marquer les joueurs japonais au point que cet épisode est encore aujourd’hui considéré comme l’un des préférés sur l’archipel. Raison pour laquelle il a bénéficié plus qu’aucun autre Final Fantasy, de nombreux remakes plus ou moins réussis, dont le dernier en date est Final Fantasy IV Pixel Remaster.
Précoce dans la vie de la machine, le jeu ne brille plus trop aujourd’hui par sa technique si on le compare aux dernières productions 16 bit. Néanmoins au début des années 90 un an pouvait suffire pour amener un réel gap technique entre deux jeux et l’écart avec les productions 8bit Nes est malgré tout bien visible. D’autant que le jeu profite de la toute fraiche Super Famicom pour amener jusqu’à 3 Overworld, tous très différents dans leur ambiance et leur style visuel ! Final Fantasy IV propose ainsi d’explorer le monde de départ, mais également le centre de la terre, avant de nous propulser dans l’espace et nous emmener sur la Lune dans un affrontement final de grande envergure. Le jeu propose des dizaines de villes et de lieux à explorer dont certains ont encore de beaux restes en matière de pixel art.
La qualité musicale est également revue à la hausse et Nobuo Uematsu profite du processeur sonore de la Super Famicom pour nous enivrer avec des compositions mystérieuses, narratives et d’une richesse rare dans le très jeune média jeu vidéo d’alors. Certains thèmes sont tout simplement inoubliables comme celui de l’overworld empli de légèreté et d’une fugacité telle, qu’il colle à merveille avec la conduite de l’airship ou le départ à l’aventure. Melody of Lute quant à lui évoque la douceur d’une harpe et vient teinter ce Final Fantasy 4 avec quelques autres morceaux de la partition, de celtisme au point qu’il en découlera un album réorchestré du nom de Celtic Moon dont je conseille vivement l’écoute à tous les amoureux de musique de jeu vidéo.
Le seul bémol de ce sountrack réside en réalité dans la taille limitée des boucles musicales de certains morceaux, les rendant parfois répétitifs surtout de nos jours. Un souci probablement lié à la taille des premières cartouches Super Famicom

Square joue avec les variations de colorimétrie pour amener diversité et ambiance à son univers
La révolution ATB
Si la Super Famicom offre à Square la possibilité d’être plus ambitieux artistiquement, elle permet également d’aller plus loin dans le Game-design, comme évoqué avec les multiples mondes, mais aussi dans le gameplay. Ainsi Final Fantasy IV propose jusqu’à 5 personnages jouables en même temps dans les combats aléatoires ! Il reste d’ailleurs encore aujourd’hui le seul opus à le faire puisque la norme pour la franchise oscille plutôt entre 3 et 4. Fondé sur le solide système de tour par tour, le jeu marque également un tournant majeur dans son gameplay en introduisant la fameuse jauge ATB (Active Time battle) imaginé par Hiroyuki Ito, et permettant de casser le principe simple du chacun son tour. Avec cette formule, les personnages comme les ennemis disposent d’une barre de temps qui monte entre chaque action et qui détermine le moment où le joueur pourra à nouveau donner un ordre à son personnage.
Alors que la barre est visible pour les héros, celle des opposants n’est pas connu du joueur créant ainsi plus de suspense lors des affrontements. Découle de cet ajout qui rythme encore aujourd’hui les Final Fantasy modernes – et bien d’autres jeux ayant réutilisé de près ou de loin ce concept – la possibilité d’intégrer des magies jouant sur la manipulation du temps et donc de la barre ATB. Couplées à ça, certaines actions demandant un temps d’exécution une fois le choix arrêté, viennent pimenter encore plus le combat. L’action la plus emblématique de ce Final Fantasy IV reste sans doute la commande Jump de Kaïn, le célèbre chevalier dragoon. Ce Job atypique et aujourd’hui fort célèbre, permet au personnage de sortir de l’écran par le haut avant de retomber quelque temps plus tard la lance la première sur l’ennemi visé, échappant ainsi à toute forme d’attaques prévues pour le viser par le camp adverse.

Le Pixel art des ennemis est soigné et l’on reconnait très bien le travail illustratif de Yoshitaka Amano
Final Fantasy IV reprend également toute la grammaire des Jobs établies depuis les épisodes Famicom, à l’exception que chaque personnage conserve un rôle attitré du début à la fin, sauf exception liée aux besoins scénaristiques. Très bien calibrée, la difficulté du jeu est au rendez-vous surtout dans la dernière partie et pousse à user de toutes les options que les jobs mettent à disposition du joueur. Par ailleurs la version américaine sortie sous le nom de Final Fantasy II est plus facile et se verra même rééditée au Japon sous le nom de Final Fantasy IV Easy Type. Dernier point important : le placement. En fonction de la fragilité du personnage, le jeu propose de le placer en avant ou en arrière sur la ligne d’action, sachant que des attaques dans le dos sont aussi envisageables. Ainsi votre invocatrice ou votre mage blanche risque dans ce cas particulier, de se retrouver en première ligne, ce qui vous invitera rapidement à user d’options très utiles telles que le sort couverture du paladin, permettant de prendre les coups à la place d’un autre membre de l’équipe.

L’artwork promotionnel de Yoshitaka Amano