Se rendre sur le ring du retrogaming comporte un risque. Ainsi, le partage entre le souvenir et l’objectivité tiraille le valeureux combattant, assailli sous les coups de sa jeunesse évanouie. Forcément, lorsque nous évoquons la Mega Drive, nos enfantillages ressurgissent, le sourire aux lèvres. World Of Illusion est l’un des piliers de ce constat, à la frontière entre effervescence et vision tronquée.
Une nouvelle fois, il s’agit pour nous de se confronter à la réalité. Comme un devoir consistant à revisiter notre mémoire pour y extraire les orbes de l’objectivité.
A nous de nous extirper, tout du moins en partie, de cette période où Raider n’était plus, où la C.E.E reliait ses liens, où Albertville voyait les JO d’hiver se dérouler, où Euro Disney ouvrait ses portes pendant que La Cinq était en perdition alors que nous pleurions la mort de Peyo. Cependant, rien n’y fera : le plaisir de l’ouverture de la boîte, l’introduction de la cartouche, le souffle dans celle-ci en cas de dysfonctionnement… un rituel quasi-religieux en dépit d’une raison totalement fantasmagorique.
Bref ! Ressaisissons-nous afin de vous transposer la nature flamboyante de cette ère. Non pas par mélancolie mais plutôt (ahah) par le biais d’un désir de contextualisation indispensable à la compréhension de notre sujet. Parce que 4 années après la naissance de la machine, cet opus, faisant « suite » à Castle of Illusion, accomplit son office de cas d’école. Une réelle surprise parfois injustement passée sous silence, au détriment d’autres pépites de la même famille, à l’instar du cultissime QuackShot. Il n’en fallait pas plus pour que nos petites mains de faiseurs se dégourdissent et prennent la plume dans le but de décortiquer ce qui constitue, à notre sens, un must-have de la firme du hérisson !

En route pour le dépaysement !
Slam Duck
S’il fallait uniquement évoquer la direction artistique, alors autant statuer à l’instant : World of Illusion dispose d’une conception de mastodonte ! Aucun défaut majeur n’entache la copie, toute parsemée d’astuces absolument brillantes destinées à sublimer l’énorme potentiel du titre. Dès les premiers instants, tout se déroule à la perfection : la mise en scène est inouïe et l’atmosphère singulière. L’humour est omniprésent, notamment grâce à l’alchimie du duo Mickey/Donald, mis en avant avec brio, légèreté, aisance et ingéniosité.
L’esprit Disney est reproduit à merveille entre respect de l’univers, apparitions fugaces et magie. De celle-ci découle le scénario, aussi minimaliste que sémillant. Nos apprentis thaumaturges se retrouvent aspirés dans une boîte et n’auront d’autre choix que de combattre un vil ensorceleur (aux faux airs de Pat Hibulaire) afin de s’affranchir.

Un émerveillement de chaque instant !
Nos loustics se retrouvent dans un voyage parsemé d’embûches, visitant des mondes variés et retranscrits avec un talent et une imagination incroyables, débouchant sur une chouette palette de couleurs vives. Les premiers plans ne bouffent pas l’écran, tandis que les arrières apportent ce soupçon de vie dont l’absence est souvent pointée du doigt. Les environnements sont sublimes et les références sont amenées avec justesse pour mieux se raccorder au propos, à l’image du “Pays des Merveilles”.
Un gain qui ne touche pas uniquement les environnements, dont on pourrait encore vanter les mérites grâce aux jeux de lumière d’exception (ces ombres chinoises !) ou en raison d’un level-design astucieux, quoique terriblement linéaire. Certes, cela envoie un terrible coup dans le beignet de la replay-value ; en outre, et comme nous le verrons plus tard, cette dernière ne dépend pas de cet élément. D’autant plus que certaines variations existent dans le cheminement, tout comme des zones cachées.

L’entraide avant tout !
C’type m’botte Willie !
Ainsi, les animations ont bénéficié d’un soin minutieux, ouvrant la voie à un feeling aussi bon que logique. Bien sûr, les plus bougons noteront que ralentir l’ennemi ne fait que le figer tout en l’habillant d’un clignotement aussi discret que subtil. Mais pour le reste, le contrat est respecté haut la main ! Et cela sert autant la jouabilité que le climat jusqu’à émettre une symbiose tout bonnement faramineuse. Une manière de rappeler encore et toujours le thème principal sans devoir en faire des caisses. World of Illusion parvient à faire intégrer au joueur sa diégèse rapidement et de manière digeste.
Au niveau de la bande son, si le bilan est assurément moins reluisant que la baffe oculaire, nous restons dans le royaume de l’excellence ! Les musiques sont ajustées aux situations, et quelques morceaux martèlent encore nos esprits. L’orchestration, même si elle se heurte aux confins du hardware, dévoile ses ressources afin de réclamer sa place. C’est-à-dire dans le peloton de tête de la Mega Drive !

L’esprit résumé en une seule image !
Les bruitages assurent aussi le fun tout en étant pertinents. Jamais ils n’agacent malgré leur répétition et, sans équivoque, certains sont vraiment impayables. Nous pensons notamment aux sons du rampement désopilants qui concourent à retranscrire la peur de nos 2 pauvres héros (en plus de leurs tremblements lorsqu’ils sont accroupis !) largués dans cette bien jolie galère. Les indicateurs de bonus sont également aisément déchiffrables au milieu de l’action.
Une marque de méticulosité qui nous ravit tant le perfectionnisme des développeurs se ressent à chaque instant et sur tous les fronts. Un enchantement perpétuel qui nous happe grâce à sa légèreté sans étaler la complexité du processus qu’on jurerait naturel et pensé de manière épidermique, sur un coup de tête. Le producteur Patrick Gilmore a eu assurément le nez creux au regard du labeur commun des créateurs impliqués dans le projet !

Un univers parfaitement retranscrit…
Foi de canard
Autant se dire les choses en face : World of Illusion dépareille avec le paysage vidéoludique de l’époque. Le jeu est un plateformer qui bénéficie d’une inertie assez étrange libérant une impression de flottement, ce qui perturbe un peu au début. Rien d’alarmant même si cela pose quelques tracas à de rares occasions, notamment sur des séquences de la partie solo de Donald (nous reviendrons sur cet aspect). De plus, nous pouvons reprocher une certaine lenteur générale, particulièrement perceptible lors des déplacements.
Le fait de pouvoir courir n’atténue en rien cette sensation d’engourdissement privant quelques séquences de ce peps dont elles auraient tant besoin. Il nous est dès lors bien difficile de générer un quelconque stress lors des fuites puisque de toute façon, tout semble un poil ralenti. On nous rétorquera que le 50 Hertz pose aussi ses soucis habituels. Argument imparable.

Clins d’oeil et originalité(s) !
Néanmoins, cessons de noircir le tableau ! Quelques gâteries nous attendent, comme les parties consacrées au tapis volant ou la sympathique “bulle dans l’eau”, ce qui permet aisément d’alterner les plaisirs en envoyant une tarte en pleine face de la platitude. Savoir se renouveler augmente l’éveil du joueur et World of Illusion déploie l’ensemble de ses charmes afin d’assurer un intérêt constant.
Bien sûr, l’accessibilité y est pour beaucoup. Les bonus, sans être florissants, sont suffisamment bien dispatchés et vous offrent leurs bienfaits : santé, possibilité d’obtenir un “continue” (d’où la nécessité d’attraper le maximum de cartes !), invincibilité… Tout est défini à bon escient, d’autant plus que l’opposition n’est pas non plus retorse. Cela permet d’admirer le nombre de mobs, tous plus sympathiques les uns que les autres, que vous ferez disparaître à grands coups de foulard magique !

Un Boss bien mis en scène et facilement abordable !
Dix nez plus
Le ravissement est identique lors de la découverte des Boss. Nous l’admettons : ceux-ci sont bien trop simples. Toutefois, on ne peut sanctionner trop lourdement cette tare au sens où le feeling reste bon et les rencontres sont vraiment amusantes. Si les affrontements sont bien plus adroits visuellement que dans les mécaniques de jeu, il va sans dire que le fun s’invite à la fête et, fatalement, c’est ce que nous demandons en priorité !
Nous notons aussi que l’aventure diffère selon votre choix entre Mickey et Donald en solo, tout comme les péripéties sont distinctes en coop’. Une manière d’ennoblir World of Illusion même si nous pensons sincèrement que le duo représente le plus gros intérêt car les personnages devront se soutenir (se tirer, se porter, ouvrir la voie…) pour accéder au passage suivant ! Petit bémol néanmoins pour les âmes solitaires : une partie effectuée avec le canard râleur met encore plus en avant le problème évoqué plus haut, à savoir le saut quelque peu hasardeux qui gâche des pans entiers. Heureusement, sans trop de régularité.

Un passage dont tout le monde se souvient !
Enfin, le système de mot de passe est efficace bien qu’il nous prive de toute notion de grande difficulté. Peu importe finalement car les enjeux ne se situent pas là et l’expérience est terriblement envoûtante. On prend son pied rapidement tout en suivant les élucubrations de nos compères à l’instar d’un épisode télévisé !
Que demander de plus ? Rien, si ce n’est un juste retour des choses concernant cette époque bénie où les adaptations des héros populaires étaient à elles seules synonymes de qualité. D’une spontanéité optimale, World Of Illusion appartient aux monuments de la 16-Bit de SEGA, avec cette infime pudeur qui le range au rayon des plus discrets.
En outre, cela ne remettra certainement pas en cause son éclat !

Rendre un niveau aquatique agréable est toujours un tource de force !
Lorsque la question d’écrire quelques notes sur la partition de nos souvenirs d’enfance et d’évoquer World of Illusion s’est posée dans l’équipe de MEGA Force, l’idée d’un test en duo a émergé ; ainsi nous laissons la plume le temps de quelques lignes…
De l’autre côté du miroir
La grande majorité du test rédigé par le NBK vise juste et met en exergue les défauts inhérents au titre tout en évoquant ses qualités. Loin de moi l’idée de répéter ce qui a déjà été dit, mais plutôt de mettre le doigt sur une particularité qui me tient à cœur dans ce voyage en pixel art de nos deux mascottes emblématiques : Mickey et Donald.
Remettre une énième fois la cartouche d’un jeu, dont les souvenirs m’ont suivi plusieurs décennies dans la console est toujours quelque chose de magique. Cela a cette saveur très particulière qui remémore la douceur de l’enfance. Comme un vieux film de Disney, que l’on se regarde au coin du feu avec un gros goûter sur les genoux un mercredi après-midi d’octobre, tandis que les arbres se font déplumer de leur parure par un vent vigoureux pour devenir ces êtres tortueux, terrifiant la pauvre Blanche Neige dans le film de 1938.
Ainsi, évoquer World of Illusion, c’est réveiller cette vieille magie parfois endormie mais au grand jamais éteinte, et s’imprégner de l’aura unique de cette époque dorée du Disney d’antan. Un Disney dont le nom résonnait davantage comme celui d’un réalisateur émérite et visionnaire au service d’un cinéma alchimique, que comme celui d’un vendeur de ballons de baudruche, ou encore, comme celui d’une plateforme de streaming diffusant à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, les pérégrinations stéréotypées et onéreuses d’une bande de troufions en collant, dotés de supers pouvoirs et de punchlines irritantes.
A travers son level-design et sa direction artistique, le voyage proposé par World of Illusion est une clé pour le Pays des Merveilles, autant qu’une aventure dans les mondes de Mickey et Donald. Si ces deux petits personnages étaient bien plus vendeurs en leur temps qu’une petite blonde en robe bleue sur le marché du jeu vidéo, en regardant intensivement à travers le miroir, c’est cette course de départ à travers une forêt chatoyante, dans laquelle il serait aisé de trouver un sommeil empli de rêveries, qui nous montre le chemin jadis emprunté par Alice. Un chemin qui se poursuit à travers ce jeu de dupes que le titre instaure sur les proportions des décors de la bibliothèque, ou dans la confiserie, comme si nous avions choisi de boire la potion sur la table afin de pouvoir prendre la porte donnant sur une opulente table dressée par un chapelier s’étant perdu dans les nuages. Et enfin, lorsque World of Illusion se détourne du Pays des Merveilles, c’est dans l’onirisme de Fantasia qu’il va piocher ses meilleures cartes et sortilèges, bien que l’inévitable Reine de Coeur ne soit, elle, à jamais liée au roman de Lewis Carroll.